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Le 26 septembre dernier, en Afrique du Sud, le leader local des télécoms, Vodacom annonçait la signature d’un contrat-cadre de cinq ans avec le ministère de l’Économie pour accompagner les municipalités dans le développement de services dits de « smart cities » (distribution d’électricité et d’eau, services connectés de santé et d’éducation, etc). Cette initiative, qui n’est pas la première dans le pays (des projets similaires ayant été impulsés par le président Cyril Ramaphosa au début des années 2020), témoigne de la maturité inédite de l’Afrique du Sud en matière de développement numérique et du rôle central que jouent les acteurs télécom auprès des pouvoirs publics.
LA CONNECTIVITÉ, ENJEU D’UNION NATIONALE
Car avec 98,8% du territoire connecté à la 4G (et 38,4% connecté à la 5G), l’Afrique du Sud peut se parer du titre de « pays le plus connecté du continent africain ». Et ce titre se décline même à échelle mondiale lorsqu’il s’agit du temps moyen passé sur internet : 9h24 par jour par habitant… un record absolu. Mieux, le territoire fait état de soixante-neuf datacenters et neuf câbles sous-marins (dont le câble Equiano qui relie l’Afrique du Sud à la péninsule ibérique), ce qui lui permet de rayonner sur toute l’Afrique australe.
« Cette primauté sud-africaine s’explique en partie par le dynamisme historique du secteur privé national, confirme Clarisse Henrion, responsable Tech et Services sur l’Afrique Australe. De grands acteurs capitalistiques comme MTN, Vodacom ou Telkom sont à la manœuvre pour développer les infrastructures et injecter des investissements, sous la houlette d’un Etat particulièrement volontariste sur le sujet ». En 2021, ce sont près de deux milliards d’euros qui ont été investis dans le secteur Télécoms, dont 1 milliard dans la communication mobile et près d’un-demi-milliard dans les infrastructures.
Connexion des townships et des zones rurales, développement du haut débit, ouverture de centres clouds pour les grands acteurs du web… les sujets ne manquent pas dans un territoire qui a toujours fait de la notion d’infrastructure un enjeu de développement national. « En Afrique du Sud, le développement des infrastructures, énergétiques notamment, a toujours été une priorité. Le secteur Telecom des années 90, né post-Apartheid, a hérité de cette vision et l’a déployée en investissant le sujet des infrastructures numériques comme un outil de cohésion nationale, autant que de rayonnement international », analyse Clarisse Henrion.
PRIVÉ-PUBLIC : UNE AMBITION PARTAGÉE AUTOUR DES INFRASTRUCTURES ET SERVICES
Véritable porte-étendard de cette politique, le plan gouvernemental SA Connect, né en 2013 et déployé à partir de 2018, entre désormais dans sa phase 2 (2025-2030) : après l’accès aux services publics dans les zones reculées (connexion des écoles, des administrations, etc), ce sont 5,5 millions de foyers supplémentaires qui devraient être raccordés, notamment grâce au développement de la fibre et des infrastructures FTTH (Fiber to the Home).
En parallèle, le pays acte son passage progressif à la 5G, après une phase de démarrage hésitante au cours de laquelle un retard sur l’attribution des fréquences a entraîné une stimulation de la demande et une envolée du prix de la donnée. « Actuellement, l’enjeu des opérateurs est de réduire le prix d’accès à la donnée dans un pays où les abonnements restent chers. Pour cela, ils essaient de trouver des formules qui amortissent le coût, à l’image de Netflix qui propose un abonnement à la journée », explique Clarisse Henrion.
Services OTT, cartes virtuelles, développement de l’expérience client… le secteur Télécom est en pleine effervescence pour tenter de répondre à une demande croissante et composite. Ainsi, le nombre d’abonnements mobiles a connu une augmentation de 40,91% en 2022, avec des offres OTT de plus en plus diversifiées (par exemple, MTN s’est associé à Disney + pour son offre streaming et à Gameloft pour son offre gaming). « Sur beaucoup d’aspects, l’offre des MNO et MVNO est bien plus avancée qu’en Europe », confirme Clarisse Henrion.
UN MARCHÉ QUI RESTE OUVERT AUX OPÉRATEURS FRANÇAIS
Pour toutes ces raisons, le dynamisme sud-africain devrait retenir l’attention de l’écosystème français, toujours à l’affût de nouvelles opportunités. « L’Afrique du Sud a le grand mérite de proposer une maturité technologique et business sans que cela ne se traduise par une saturation du marché, pointe Clarisse Henrion. Le secteur est concurrentiel, avec des acteurs internationaux américains, allemands ou chinois, mais il y a de la place pour des opportunités business à forte valorisation, dans la durée ».
Les locomotives tricolores sont d’ailleurs déjà présentes, avec une couverture souvent régionale sur toute l’Afrique australe : le groupe Orange est ainsi largement implanté sur le territoire sud-africain, via notamment sa filiale Orange Web Services, et il assume des fonctions d’opérateur leader au Botswana. Dans le domaine des équipements et des travaux de connectivité, ce sont Prysmian et Marais qui ont été mobilisés ; tandis que dans le domaine du broadcast, ce sont Canal+ et Trace qui représentent l’offre française. Et plus largement, on retrouve dans la région les acteurs traditionnels de la filière comme Eutelsat, Thalès, Schneider, Idemia…
AFRICACOM, LA GRAND’MESSE DES TÉLÉCOMS
Dans cette optique, le salon Africacom qui ouvrira ses portes du 12 au 14 novembre pourrait bien constituer une occasion d’explorer la région. « Chaque année, une dizaine d’entreprises exposent sur le Pavillon France, explique Clarisse Henrion. Pour certaines, déjà installées sur le continent africain, c’est une occasion de s’étendre via un partenaire local. Pour d’autres, c’est une première prise de contact avec le pays, avec bien souvent un retour l’année d’après ». Des pépites comme Athesi (téléphones spécialisés), Enreach (VoIP), IdeaOptical (équipements pour la fibre) ou Kapptivate (monitoring du réseau) ont ainsi passé le pas, démontrant par leur présence la diversité de l’offre française.
Au total, ce sont 15 000 visiteurs provenant de cent pays qui se réunissent au Cap chaque année en novembre, avec une concentration inédite de donneurs d’ordre : « Africacom est vraiment la grand’messe des télécoms en Afrique subsaharienne : on y retrouve à la fois des opérateurs MNO et MVNO, des régulateurs mais aussi des hébergeurs/clouders (Teraco, Africa DataCentres…), des broadcasters (SABC, DSTV-Multichoice…) ou des équipementiers (Broadband infraco, Vuma…) ». Pour approcher et convaincre ces grands acteurs, l’association avec un partenaire local reste le plus pertinent car « cela rassure les interlocuteurs d’avoir un contact sur place », signale Clarisse Henrion.
QUELS FREINS D’ACCÈS ?
L’essor du marché sud-africain des infrastructures numériques devrait donc attirer de nombreux acteurs dans la région, sur des briques technologiques variées. Cependant, l’accès au marché doit faire l’objet d’une attention particulière : « Le Broad-Based Black Economic Empowerment, politique de discrimination positive en faveur des populations historiquement désavantagées, crée des obligations en matière d’emploi local qui doivent être considérées pour les marchés publics, mais aussi lors de la passation de marchés privés – même si ce n’est pas obligatoire pour ces derniers. », rappelle Clarisse Henrion.
S’agissant de la monnaie, le rand sud-africain, par ses fluctuations, implique un suivi vigilant en matière de contrats. « Mais l’Afrique du Sud présente l’avantage d’une grand stabilité politique et économique et d’une sécurité juridique qui la rendent véritablement propice aux affaires ».
Reste un frein technique conjoncturel et de portée nationale dans le pays : la récurrence de délestages d’électricité et d’acte de vandalisme sur les infrastructures (vol de cuivre, de batteries). « Sur ces aspects, le problème est intégré par les acteurs locaux qui ont trouvé des stratégies de contournement : les opérateurs se sont équipés en générateurs et batterie, et le développement de fermes solaires permet d’ouvrir de nouvelles chaines d’approvisionnement. D’autre part, le passage accéléré à la fibre témoigne de la volonté du gouvernement de dépasser le paradigme des réseaux en cuivre », confirme Clarisse Henrion.