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En 2022, six des sept licornes de la Fintech allemande étaient installées à Berlin, avec de grands noms comme N26, Trade Republic, Wefox ou Raisin. Une surreprésentation qui témoigne du dynamisme de ces offres dans la capitale allemande, et plus globalement dans le pays. « À l’instar du Royaume-Uni et de la France, l’Allemagne offre un terreau de grands comptes bancassurance soucieux de se digitaliser rapidement, explique Benjamin Lajimi, conseiller export sur le secteur Tech pour Business France. Et si Berlin détonne par le dynamisme de son écosystème VC et tech, les grandes places plus traditionnelles comme Francfort, Munich ou Düsseldorf sont également en recherche de solutions ».
Des success stories françaises
En 2023, les équipes de Business France ont accompagné l’implantation du prestataire de services de paiement (PSP) Lemonway à Hambourg. Une opération synonyme de première expansion européenne pour cette fintech française et impliquant le recrutement de cinq collaborateurs. « Le COVID a accéléré le développement des marketplaces en Allemagne et Lemonway y a vu une opportunité de marché, explique Benjamin Lajimi. Ils ont notamment participé au programme d’accélération Impact Germany 2023 qui leur a permis de découvrir le marché et d’obtenir des rendez-vous qualifiés ». Une success story qui a entraîné dans son sillage l’installation à Berlin de Silvr, spécialiste tricolore du revenue-based-financing, également suite à une participation au programme Impact.
« Il y a beaucoup d’arguments qui peuvent expliquer cet attrait de l’Allemagne aux yeux des start-up françaises, poursuit Benjamin Lajimi. D’abord la taille du marché de consommateurs qui, pour les fintechs B2B2C crée forcément un effet volume sur les transactions engagées. Ensuite un certain morcellement des structures bancaires, en lien avec l’organisation fédérale du pays, qui multiplie les opportunités de débouchés. Et enfin un décalage de maturité sur plusieurs briques essentielles de la digitalisation comme les paiements, la cybersécurité ou la blockchain ».
Open banking, Cyber, Blockchain et Green Finance
En 2022, seul Paypal agglomérait une partie significative des transactions digitales, avec 28,2% des paiements – les autres chiffres soulignant, eux, un certain conservatisme, avec 55% des internautes déclarant régler leurs achats en ligne sur envoi d’une facture (Statista) et .54% d’entre eux utilisant une carte de débit. Dans ce paysage, l’arrivée de l’open banking et des systèmes pay by bank pourrait donc constituer une alternative à Paypal et créer de nouveaux gisements pour les PSP : « La marge de progression sur les services pay by bank est énorme, signale Benjamin Lajimi. À date, ils ne représentent que 2% des transactions mais la faible commission appliquée à chaque transaction (en comparaison du modèle Paypal par exemple) va forcément attirer l’attention des établissements bancaires et des organismes acquéreurs ».
Autre vivier d’opportunités pour les fintechs tricolores : la cybersécurité. Un rapport gouvernemental paru outre-Rhin en novembre 2023 signalait ainsi que « le niveau de menaces était le plus élevé jamais enregistré ». S’agissant du cas spécifique du secteur bancaire, l’organisme BaFin (qui contrôle la gestion des risques financiers) soulignait en 2023 une hausse de 17,5% des incidents liés aux services de paiements (soit 235 incidents, pour un total de près de 53 milliards d’euros de dommages) avec toutefois une prépondérance de dysfonctionnements internes (95% des incidents) par rapport aux menaces externes (5%). Un signal pour l’offre française, à l’heure où la transposition de la directive DORA tarde à se matérialiser en Allemagne ?
Enfin, côté blockchain et solutions crypto, l’adoption très faible de ces technologies laisse la porte ouverte à de futures innovations : une étude de 2024 soulignait ainsi que 72% des entreprises ne considéraient pas la blockchain comme une solution pertinente pour leurs activités commerciales. Mais, dans le secteur financier, des expérimentations commencent à voir le jour : 54% des entreprises de ce secteur déclaraient avoir lancé des projets, quand seules 25% n’avaient aucune initiative ni réflexion sur la question. « Les établissements bancaires allemands ont un rapport de méfiance avec la blockchain, associée à la cryptomonnaie et à la volatilité que celle-ci implique, explique Benjamin Lajimi. Mais ils sont également conscients des possibilités d’optimisations opérationnelles induites et de la disponibilité en capitaux qu’elle représente ».
Blockchain, open banking, cybersécurité… les « niches porteuses » sont nombreuses pour les opérateurs français en Allemagne. « Sans oublier la finance durable sur laquelle les Français sont mondialement reconnus, et qui se maintient à de hauts niveaux en Europe, contrairement au reste du monde ».
Une concurrence européenne et surtout nationale
Reste cependant à se frayer un chemin jusqu’aux donneurs d’ordre et partenaires allemands, et surtout à les convaincre face à la concurrence nationale et internationale (Pays-Bas, Royaume-Uni). « Les banques allemandes s’efforcent bien sûr de privilégier les solutions domestiques, notamment en ce qui concerne l’expérience client ou les banques en ligne, concède Benajmin Lajimi. Mais la France peut bénéficier de ses avantages comparatifs et de la présence de grandes institutions bancaires tricolores sur le territoire ». Ainsi, en est-il de Crédit Mutuel qui, suite à son partenariat de 2016 avec GE Commercial Finance est devenu TargoBank, l’un des principaux acteurs en Rhénanie Nord Westphalie. Ou de BNP Paribas qui affiche la plus forte croissance du marché bancaire allemand depuis 2016. Sur le terrain des startup fintechs, outre Silvr et Lemonway, d’autres noms prestigieux comme Qonto, Lyra ou Inovatic ont fait une entrée réussie sur le marché allemand.
Les Fintech Meeting Days au Grand Palais
« En avril prochain, nous aurons les Fintech Meeting Days au Grand Palais au cours desquels nous ferons venir des grands comptes allemands à Paris pour qu’ils rencontrent les offreurs de solutions français, explique Benjamin Lajimi. Nombreux d’entre eux se sont déjà portés volontaires pour venir et sponsoriser car ils sont très demandeurs de solutions nouvelles : la fintech est l’occasion pour eux d’optimiser leurs modes de fonctionnement et de prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents ».
Le FIBE à Berlin, un accélérateur
Quelques semaines auparavant, les 9 et 10 avril 2025, aura eu lieu le nouvel événement de la scène européenne en matière de fintech : le FIBE (littéralement Fintech Festival of Berlin). « En seulement deux éditions, ce rendez-vous a eu le temps de s’installer comme l’événement-phare du networking européen en proposant une ambiance détendue « à la berlinoise » et un lineup d’intervenants de très haut niveau qui sont, de surcroît ; directement accessibles ». L’année dernière, le FIBE avait ainsi réuni Alexandre Prot, le président de Qonto, Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, Maximilian Tayenthal, le fondateur de N26, ou encore Sanna Marin, l’ex-première ministre de la Finlande.
Fort d’une expérience en tant que visiteur et prochainement speaker sur l’édition 2025, Benjamin Lajimi emmènera huit startups françaises dans les allées du salon pour profiter de ce networking prestigieux. « Une mission couplée à des rendez-vous B2B dans la ville qui devrait servir de tremplin pour plusieurs aspirants au marché allemand », confirme-t-il.
Car l’accès au marché reste un parcours complexe, où les investissements financiers et humains peuvent être conséquents : « Il faut aller chercher les rendez-vous un par un, et ne pas s’attendre à de la complaisance de la part de grands comptes sur-sollicités, notamment les responsables Innovation ou Digital ». Outre la participation à des salons (par exemple, le Seamless Europe à Munich ou le Digital Finance à Francfort), la meilleure façon d’accéder à des donneurs d’ordre sera de cibler les programmes d’incubation/accélération que ceux-ci proposent ou de passer par un intégrateur déjà référencé. Le rapprochement avec des hubs Fintech peut également servir de relais – six hubs sont recensés en Allemagne dont ceux de Berlin, Francfort et Hambourg.
« Enfin, il ne faut pas négliger les aspects réglementaires dans un pays où les procédures liées aux règles prudentielles sont très strictes », avertit Benjamin Lajimi. Ainsi, le certificat de conformité délivré par le BaFin pourra être nécessaire en fonction du modèle commercial proposé par la startup.
Exigeant mais rémunérateur, le marché allemand des Fintech est donc un marché prioritaire pour les startups françaises qui chercheraient à se diversifier et à s’éloigner des places de marché parisienne et londonienne. 33% des fintech françaises ont d’ailleurs traversé la frontière et tenté une expérience sur place (c’est le deuxième pays d’exportation fintech française derrière l’Espagne). Si les pôles de Francfort, Munich et Düsseldorf restent des valeurs sûres en raison de la surreprésentation de grands comptes bancaires, le vivier de talents et d’innovations concentré à Berlin pourrait inviter les plus curieux à poursuivre leur route vers l’Est. Avec une première porte d’entrée au FIBE en avril prochain, l’événement qui s’auto-promeut comme « the leading fintech festival from Berlin for the world » (littéralement « le premier festival fintech de Berlin à destination du monde »). « L’Allemagne est en pleine transformation, comme en témoigne le dynamisme du secteur fintech : c’est donc maintenant que les entreprises françaises doivent s’y intéresser, conclut Benjamin Lajimi. Il ne faut pas laisser la place à nos concurrents étrangers ! »