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Depuis janvier 2023, il est désormais possible pour les citoyens coréens de se rendre à la mairie de Séoul… de façon virtuelle. Baptisé « Metaverse Seoul », le métavers des services publics de la capitale coréenne est le premier du genre à échelle mondiale, permettant à tout citoyen d’effectuer ses démarches administratives dans un univers virtuel immersif. Un projet qui ne s’est pas fait sans appui : environ deux milliards de wons (soit 1,6 million de dollars) ont été dépensés par le gouvernement pour réaliser la première phase du chantier.
ÉTATS ET GRANDS GROUPES DERRIÈRE LES ICC
« Ce métavers est symptomatique de l’état d’esprit qui règne actuellement en Corée du Sud : une maturité technologique qui vise à toujours plus d’innovation et, dans le même temps, un dynamisme créatif qui surfe sur le potentiel des industries culturelles et créatives (ICC) nationales… le tout appuyé par le gouvernement local », témoigne Jikyung Kim, cheffe du pôle Tech Industries et Services au sein du bureau coréen de Business France.
Une démarche qui fait écho au lancement du « Ryugukoku » ou « Zone économique de métavers » japonais en 2023, lequel vise à exploiter le savoir-faire tech et gaming de l’archipel nippon pour créer un pôle virtuel de développement économique. « Sur ce projet, comme sur la plupart des projets ICC, ce sont les acteurs privés qui sont à la manœuvre, avec une intervention plus limitée du côté public », note Alexis Tatto, chef du pôle Tech et Industrie pour le bureau japonais de Business France. Une primauté des grands groupes (parmi lesquels : Nintendo, SEGA, Sony…) qui s’ancre dans un patrimoine économique et culturel établi de longue date et reconnu internationalement : deuxième marché mondial pour la musique, troisième marché mondial pour les jeux vidéo et le cinéma (notamment l’animation). « Le secteur des ICC génère un chiffre d’affaires important depuis de nombreuses années, mais les ruptures technologiques et démographiques appellent forcément à des évolutions », évoque Alexis Tatto.
AU JAPON, UNE REDYNAMISATION À L’ŒUVRE
Car si le Japon et la Corée du Sud partagent ce même intérêt et ce même dynamisme pour les industries culturelles et créatives, les trajectoires internes ne sont pas les mêmes. « Contrairement à la Corée du Sud où la forte connectivité apporte aux ICC une certaine maturité technologique (environ 60% des coréens utilisent un service de streaming cinq jours par semaine), le Japon démontre encore un attachement fort aux supports hardware hérités des années 1990 et 2000 : il y a encore beaucoup de CD audio sur le marché et le streaming n’est pas aussi généralisé qu’en Occident », explique Alexis Tatto. D’où un besoin des industriels de s’ouvrir à des supports plus modernes pour continuer d’exploiter les licences historiques, voire les redynamiser. Un impératif d’innovation qui renvoie également à une réalité économique plus prosaïque : d’ici 2056, l’archipel nippon devrait perdre 25 millions d’habitants ce qui, pour des ICC traditionnellement orientées vers des publics domestiques, résonne comme une réduction annoncée du vivier de consommateurs.
EN CORÉE, LE PHÉNOMÈNE HALLYU
Une équation démographique qui incite la Corée du Sud, confrontée à la même problématique, à se tourner davantage vers l’export. Dans ce pays où le phénomène Hallyu[1] est devenu un instrument de soft power, les ICC se placent au septième rang mondial et l’exportation de produits culturels s’élevait en 2022 à 13,24 milliards de dollars – par comparaison, les exportations de batteries ou de véhicules électriques s’élevaient, elles, à environ 9 milliards de dollars. « Par son poids économique mais aussi son influence diplomatique dans le monde, le K-content est devenu une priorité nationale du gouvernement qui espère faire entrer son pays dans le top 4 des nations culturelles les plus influentes du monde (avec les États-Unis, la Chine et le Japon) », indique Jikyung Kim. Les dirigeants coréens envisageraient même d’atteindre 25 milliards de dollars d’exportations dès 2027. Pour soutenir ces efforts, le budget 2023 consacré au développement de ces industries s’élevait ainsi à plus de 5 milliards de dollars, dont 609 millions pour le fonds de soutien à l’exportation des contenus.
UNE OUVERTURE ACCRUE AUX SOLUTIONS ÉTRANGÈRES
« Dans ce contexte particulièrement porteur pour les ICC coréennes, les besoins de s’ouvrir aux publics occidentaux conduisent certains donneurs d’ordre à solliciter des savoir-faire étrangers ou à importer des productions », confirme Jikyung Kim. En effet, si les exportations d’ICC coréennes se dirigent à plus de 50% vers la Chine, le Japon, Taïwan et Hong Kong, le gouvernement souhaiterait ouvrir de nouveaux marchés en Amérique du Nord, en Europe et au Moyen Orient, facilitant ainsi les passerelles avec les acteurs de ces pays. D’autant que l’ambition de modernité incite forcément les industriels à s’ouvrir aux solutions étrangères quand celles-ci sont innovantes : « Réalité virtuelle, animation, streaming, intelligence artificielle… Que ce soit au Japon ou en Corée du Sud, il y a de la place pour les solutions françaises, notamment sur des briques technologiques ou éditoriales innovantes qui peuvent s’intégrer dans des propositions artistiques locales », explique Jikyung Kim.
Ainsi à Tokyo, le géant Bandai Namco, éditeur des célèbres franchises Pac-Man, Tekken, Naruto ou encore One Piece, s’est allié au producteur français Atlas V pour concevoir une expérience en réalité virtuelle immersive de sa licence d’animation Gundam. Cette annonce faisait suite au développement sur consoles et PC d’un jeu inspiré de la licence Goldorak, par l’équipe française de Microids. « En Corée du Sud, on peut citer l’exemple d’Histovery, spécialiste des visites culturelles augmentées, qui a signé un partenariat avec les représentants du National Palace Museum de Séoul pour l’accueil de l’exposition Notre-Dame de Paris : l’Exposition Augmentée », rappelle Jikyung Kim. Un courant d’affaires qui a d’ailleurs été initié via le programme d’Immersion ICC Corée du Sud, reconduit cette année par Business France et l’Institut Français.
PROGRAMME D’IMMERSION ET TOKYO GAME SHOW
« Le domaine des ICC est un des fameux ‘secteurs d’avenir’ mis en lumière par le plan France 2030, explique Jikyung Kim. Et, dans cette optique, un effort important est consacré à son internationalisation : des programmes d’immersion sont ainsi prévus sur les marchés porteurs (dont la Corée du Sud) impliquant un accompagnement personnalisé de l’Institut Français et Business France pour une quinzaine d’entreprises innovantes sélectionnées par appels à projet ». Temps fort de cet accompagnement : le déplacement en Corée du Sud prévu du 3 au 5 juillet prochains, qui permettra aux entreprises sélectionnées d’exposer leurs offres et de rencontrer les donneurs d’ordre. « L’édition 2023 a très bien fonctionné, comme le démontre le cas d’Histovery, d’où notre souhait de réitérer l’expérience », complète-t-elle.
Une opération qui se décline au Japon sous le format d’un « Creative Lab », également en partenariat avec l’Institut Français. « Il s’agit aussi d’accompagner des entreprises dans leur rencontre avec les donneurs d’ordre japonais les plus emblématiques mais le contexte donné à cette mission est celui du salon mondial du jeu vidéo, le Tokyo Game Show », précise Alexis Tatto. Ainsi, en marge de leurs rendez-vous de networking aux sièges des grandes ICC tokyoïtes, les entreprises de la délégation seront invitées à déambuler dans ce salon de 70 000 visiteurs professionnels (et près de 250 000 visiteurs grand public) pour découvrir le marché et comprendre les besoins des entreprises japonaises. En 2022, l’opération avait permis de générer des rendez-vous avec des représentants de SEGA et Bandai Namco, et, l’année suivante, c’est Kojima Productions qui était venue au-devant des visiteurs français.
ALLER AU-DEVANT DES PROJETS LOCAUX
« Ce qu’il faut comprendre avec le marché japonais, c’est que les grands comptes voyagent très peu en comparaison de leurs homologues occidentaux : ils sont donc particulièrement curieux de découvrir les innovations des PME/ETI quand celles-ci se déplacent jusqu’à eux. En ce sens, le marché japonais est bien plus ouvert qu’on ne le pense : les relations peuvent démarrer rapidement une fois le premier contact établi sur place, et elles s’inscrivent généralement dans la durée », confirme Alexis Tatto.
Un accès rapide au marché qui peut s’observer côté coréen également, à condition de cibler sa proposition : « Dans le domaine musical par exemple, il est plus efficace de démarcher des plateformes locales que de passer par des acteurs internationaux. Et dans l’industrie de l’animation, il peut être intéressant de s’allier à des acteurs locaux pour des co-productions ou des adaptations de propriétés intellectuelles », confie Jikyung Kim.
EN CORÉE DU SUD, MUSIQUE ET CINÉMA D’ANIMATION EN TÊTE
Parmi les sous-secteurs des ICC coréennes, le plus dynamique est probablement celui de l’industrie musicale, qui affiche une croissance de 15% en 2023. « Les quatre plus grandes maisons coréennes sont SM Entertainment, JYP Entertainment, YG Entertainment et Hybe Corporation, mais il existe bien sûr une myriade d’acteurs installés sur des segments précis (comme la distribution par exemple) et qui recherchent des idées innovantes pour interagir avec les consommateurs », note Jikyung Kim. Derrière la musique, le cinéma (+12,3%), l’animation (+8,6%) et les dessins animés coréens (+6%) affichent une santé toute aussi éclatante. Seules les productions nationales de jeu vidéo semblent marquer le pas, mais davantage en raison d’un phénomène de délocalisation que de baisse de consommation – la Corée du Sud étant en effet le quatrième marché mondial du jeu vidéo, dont 58% des ventes étant sur mobile.
AU JAPON, DU POTENTIEL SUR LE GAMING ET LE STREAMING MUSICAL
« Au Japon, le jeu vidéo garde une suprématie, que ce soit parmi les éditeurs de jeux ou les fabricants de consoles (Nintendo, Sony). Mais on observe des dynamiques au sein de ce segment, avec une prise de pouvoir du jeu mobile (qui détient désormais plus de 50% des parts de marché), une augmentation continue des jeux PC et une ouverture à l’eSport, plusieurs années après son voisin coréen. « Le décollage de l’eSport japonais a historiquement été freiné par des réglementations sur les jeux d’argent et par le droit d’auteur sur les jeux utilisés en compétitions, confirme Alexis Tatto. On observe désormais une croissance année après année, offrant des opportunités importantes dans le domaine événementiel ».
Autre ICC qui pourrait bénéficier de l’offre française : l’industrie de la musique encore en pleine transition vers le numérique. « Les maisons de disque comme AVEX, Sony Music ou, plus récemment des sociétés de streaming, comme Line Music, sont toujours à la recherche de nouvelles offres servicielles liées aux data musicales », signale Alexis Tatto.
UN MOT D’ORDRE : ADAPTATION
Une chose est sûre : dans le domaine de la création éditoriale, le Japon comme la Corée du Sud réclament des adaptations spécifiques à leurs publics, bien au-delà de la traduction linguistique. « Ce que font les japonais et les coréens en matière de contenu est totalement différent de ce qui est proposé en France, et plus généralement en Europe. Cela rend le positionnement français réellement différenciant par rapport à l’offre locale mais encore faut-il trouver un langage commun pour le consommateur », analyse Alexis Tatto.
Une difficulté qui s’apparente plutôt à un défi enthousiasmant pour les entreprises françaises : « Beaucoup d’entreprises qui font le voyage sont très motivées par le marché local : elles ont un fort intérêt pour la culture japonaise ou la culture coréenne, et au-delà du marché de consommation représenté par chaque pays, elles y voient un accélérateur économique à échelle internationale, autant qu’une démarche artistique », analyse Alexis Tatto qui souligne que, côté japonais, la dimension Made in France apparaît comme un plus pour initier des échanges.
« Le Japon est souvent un marché qui fait rêver mais qui semble inatteignable, ajoute-t-il. Avec la mission au Tokyo Game Show, nous souhaitons montrer qu’en une semaine, il est possible d’enclencher des projets et de faire des rencontres d’importance. Les entreprises qui nous ont accompagnés sur les précédentes éditions nous ont toujours fait part de retombées positives ».
En Corée du Sud, les opportunités semblent tout aussi nombreuses pour les participants au programme ICC Immersion Corée du Sud : « C’est l’un des marchés les plus dynamiques au monde, avec plus de 115 000 acteurs et un chiffre d’affaires en hausse de 9,4% … Pour une ICC française en quête d’export, c’est presque un passage obligé de venir découvrir ce qu’il se fait en Corée : plus qu’un simple centre d’innovation, c'est le laboratoire des ICC de demain à échelle internationale », conclut Jikyung Kim.
[1] Phénomène d’engouement international autour de la culture coréenne, incarné notamment dans le succès récent de séries, films ou chansons issus de ce pays. Le terme Hallyu signifie « vague coréenne »