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Il se présente comme le « premier salon de la transformation digitale du monde du travail et de la formation en Suisse romande » : les 5 et 6 juin prochains, l’événement Future of Work and Learning de Genève accueillera des responsables RH de toute la Suisse francophone. Son objectif : présenter un état de l’art des technologies et applications innovantes qui pourraient répondre aux défis actuels du monde du travail – attraction et rétention des talents, durabilité, organisation hybride ou encore santé mentale. Car les enjeux du « futur du travail » (ou Future of Work, selon l’appellation générique) n’ont jamais été aussi scrutés que depuis la période Covid et les solutions d’HR Tech sont activement recherchées, en Suisse, en Autriche, comme partout ailleurs. On estime d’ailleurs que ce marché devrait doubler entre 2023 et 2032.

SUISSE ET AUTRICHE, MARCHÉS PIVÔTS DE LA TECH EUROPÉENNE

Dans les allées, ces décideurs suisses pourraient bien tomber sur une dizaine d’entreprises françaises emmenées par Business France, elles-mêmes venues explorer l’écosystème et gagner en visibilité. « Les entreprises françaises sont toujours intéressées par le marché suisse, explique Maria Venguerenko, conseillère Tech et Services au bureau Suisse de Business France. Elles voient l’opportunité qu’offrent la proximité, la francophonie et, surtout, la présence sur place de sièges de multinationales ».

Mais, si ces caractéristiques font de la Suisse un marché d’appel pour les start-ups françaises, Maria Venguerenko met en garde : « Il n’est pas de prospection efficace en Suisse romande sans anticipation préalable d’une stratégie sur le marché de la Suisse alémanique ». Car, dans un secteur aussi scalable que la technologie, la dynamique impulsée dans l’ouest du pays peut très vite aboutir à des réflexions d’ouverture vers la zone germanique : Suisse alémanique, mais aussi marchés allemand et autrichien.

De cette logique de passerelle au cœur de l’Europe, Business France a tiré une mission d’accompagnement, le French Future of Work Tour, qu’elle compte décliner sur deux terrains d’opération : la Suisse, les 4 et 5 juin prochains (la visite du salon Future of Work and Learning à Genève étant une étape du programme), puis l’Autriche le 1er octobre 2024. La promesse de cet itinéraire en deux temps : propulser les entreprises HR Tech françaises sur des marchés européens matures mais toujours en quête d’innovation dans ce domaine. « L’étape autrichienne, qui se déroule à l’Ambassade de France, vise précisément à permettre aux entreprises françaises participantes de présenter leurs innovations aux donneurs d’ordre locaux et à mettre en exergue l’ouverture de ce pays vers l’Europe centrale et orientale, explique Clément Bourcheix, conseiller Tech et Services au bureau viennois de Business France Allemagne. Et pour des entreprises déjà installées en Allemagne, c’est l’occasion d’amplifier leur ancrage en Europe centrale et orientale ».

EN AUTRICHE, LE DÉFI DE L’ATTRACTIVITÉ

D’autant qu’en matière d’innovation HR Tech, l’Autriche est particulièrement dynamique. Des startups nationales comme Firstbird (programme de recommandation d’employés en SaaS) ou Kununu (plateforme de notation des employeurs) ont récemment été rachetées par des acteurs internationaux de grande taille (l’américain Radancy pour Firstbird, l’allemand Xing pour Kununu). Resté indépendant, le cabinet de recrutement HROS, fondé sur la donnée et l’IA, a récemment annoncé sa volonté de lever 5 millions d’euros en Série A pour s’étendre en Suisse, en Hongrie, en Serbie, Pologne et Bulgarie. « On est encore sur un marché en croissance, avec du potentiel mais sans écosystème structuré : il y a de la place pour l’offre française », insiste Clément Bourcheix.

Car les enjeux RH sont nombreux pour les grands groupes installés en Autriche (parmi lesquels on peut citer la banque Erste, l’opérateur télécom A1 Telekom ou encore le numéro deux de l’ameublement européen XXXLutz), et les tensions sur le recrutement constituent probablement le défi le plus urgent : « Depuis la période COVID, il est de plus en plus difficile de recruter des talents qualifiés. Et cette problématique s’ajoute à celle, plus structurelle, de déficit des modes de garde qui contraint de nombreuses femmes diplômées à recourir au temps partiel à la suite de leur congé maternité et parental », explique Clément Bourcheix. Conséquence dans les chiffres : seules 50% des femmes travaillent à temps plein sur le territoire autrichien, malgré un taux de chômage national de 7% (chiffre AMS, organisme équivalent à France Travail en Autriche). Et dans certains secteurs comme l’administration publique, les besoins de recrutement se montrent de plus en plus critiques, avec des objectifs 2030 particulièrement ambitieux.

EN SUISSE, DÉVELOPPER LE BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL

Des enjeux de staffing que rencontre également le marché suisse, confronté à un taux d’emploi des femmes de 60,3% (chiffre OFS 2023, en équivalents plein temps) et à une pénurie grandissante d’effectifs sur les métiers techniques et dans le domaine des services à la personne. « Au-delà des chiffres, ces constats ont des incidences sur la qualité de travail de ceux qui restent en poste car les attentes en matière de productivité vont grandissantes, analyse Maria Venguerenko. Résultat : plus de 60 % des PME suisses se trouvent confrontées à des absences d’employés dues au burn-out ».

Dans ce contexte, les solutions qui favorisent le soutien au travail humain sont largement plébiscitées, qu’il s’agisse de faciliter l’hybridité des organisations ou d’améliorer le bien-être des équipes. « Comment garder une vie d’équipe quand on travaille en distanciel ? Comment identifier les surcharges de travail d’un collaborateur ? Comment augmenter l’expérience de travail d’un collaborateur ? Comment réserver du temps pour les activités physiques ou les pratiques de relaxation ?... Nous sommes interpellés par les donneurs d’ordre locaux sur ces questions », témoigne Maria Venguerenko.

UNE OUVERTURE ASSUMÉE AUX SOLUTIONS ÉTRANGÈRES

En Suisse, l’écosystème HR Tech a longtemps tardé à se structurer, comme le regrettait en 2020 la directrice du cabinet Global HR Talents, Laetitia Kulak2, qui joue aujourd’hui un rôle fédérateur à travers l’organisation d’événements sectoriels. Un déficit d’offre compensé en partie par l’émergence d’acteurs intermédiaires comme Swibeco (gestion des avantages salariés) ou Bexio (gestion administrative et comptable) ou par la cellule open innovation de l’assureur AXA, implanté en Suisse depuis le rachat de Winterthur, et qui se focalise notamment sur la recherche de solutions dans le domaine de la santé des employés. « Le marché des Venture Capitals s’est beaucoup structuré avec l’émergence de start-ups dans les domaines de la fintech et des technologies de l’information et de la communication (TIC), explique Maria Venguerenko. Donc la HR Tech peut en partie s’appuyer dessus, même si celle-ci n’est pas encore organisée en filière ».

Une conviction demeure : le marché des grands comptes reste très ouvert aux solutions étrangères. « C’est un marché d’innovation soucieux de coller aux attentes les plus récentes des collaborateurs, confirme Maria Venguerenko. D’où une volonté de dénicher les pépites : les donneurs d’ordre n’hésitent pas à passer en direct pour leur sourcing ou à se référer à des partenaires intégrateurs ».

Une démarche d’ouverture également observable en Autriche où les donneurs d’ordre témoignent d’une volonté de se fournir au-delà des solutions allemandes, tout en restant dans le cadre réglementaire européen du RGPD. « Les administrations publiques ou entreprises para-publiques comme ÖBB, la compagnie ferroviaire, ont tendance à passer par des contrats avec des intégrateurs. Mais les acteurs de l’industrie ou de la finance, eux, sont ouverts à des relations en direct », confie Clément Bourcheix.

L’INNOVATION HR TECH ENTRE TECHNOLOGIES DE POINTE ET ENJEU DE DURABILITÉ

Car l’Autriche dispose d’un tissu industriel particulièrement développé (le secteur secondaire représentant près de 30% du PIB, soit davantage qu’en Allemagne), ce qui milite en faveur de solutions innovantes dans le domaine RH. « Par leur spécificité, les métiers industriels peuvent être demandeurs de technologies de pointe, de type AR/VR, pour la formation ou pour la collaboration. Ce n’est pas le cœur du marché (en plus du recrutement, les questions d’organisation hybride ou d’équilibre pro-perso restent primordiales) mais il y a des débouchés intéressants pour ces solutions », rappelle Clément Bourcheix.

AR/VR, IA générative, métavers, data management ou encore hybridité : en Autriche comme en Suisse, les mots-clés de la technologie de demain peuvent trouver un écho favorable pourvu que leur valeur ajoutée soit prouvée. En pleine phase de consolidation sur le sol français et alors que les financements ont eu tendance à baisser, le marché de la HR Tech tricolore pourrait trouver sur ces marchés des investissements et des usages rapidement accessibles.

D’autant qu’un autre mot-clé, tout aussi crucial pour les grands comptes, commence à trouver son ancrage dans le paysage des solutions HR Tech : la durabilité. « Au-delà des problématiques humaines et organisationnelles, les entreprises demandent aux nouveaux outils de rendre l’espace de travail plus durable, analyse Maria Venguerenko. Cela passe bien sûr par des solutions de facility management (gestion de l’énergie, de l’eau, etc) mais pas seulement : les stratégies de mobilité des employés ou le recours au flex office entrent dans ce périmètre ». Ainsi, en Suisse, l’entreprise Oxygen at Work propose une sélection rigoureuse de plantes de bureaux destinées à optimiser la purification de l’air en s’appuyant sur des données. Dans son portefeuille de clients : Microsoft, Lindt, Schindler… preuves de la diversité du tissu de grands comptes captifs sur ces questions en Suisse.

UNE OFFRE FRANÇAISE STRUCTURÉE

Flexibilité, bien-être au travail, staffing, durabilité… les besoins ne manqueront pas à l’agenda des rencontres B2B organisées lors du French Future of Work Tour. Une mission parrainée sur le volet suisse par l’École 42, présente à Lausanne et depuis cette année aussi à Zürich (et également à Vienne) : « À travers l’École 42, la France témoigne de sa compétence reconnue en matière de programmation et d’accélération d’écosystèmes tech, conclut Maria Venguerenko. La coopération avec Business France dans l’organisation de cette mission inédite est un premier pas important pour donner de la visibilité à une offre française structurée sur les sols suisse et autrichien ». De quoi accélérer davantage les opportunités des acteurs de la filière HR Tech. Et confirmer que l’accès aux marchés de proximité européens reste un relais de croissance important pour une filière encore en construction.

1 Selon Research and Markets, le marché mondial s’établirait à 33,3 milliards de dollars en 2023 et devrait atteindre 67,6 milliards en 2032, ce qui correspondrait à un taux de croissance annuelle de 8,17%.

2 https://www.bilan.ch/techno/les-oublies-de-la-hr-tech-suisse