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En ce mois de juillet 2024, alors que la France a accueilli les Jeux Olympiques, une annonce plus discrète s’est frayée un chemin dans les agendas des médias sportifs : la décision du Comité International Olympique d’accorder l’organisation des tout premiers Jeux Olympiques de l’Esport à l’Arabie Saoudite dès 2025. Une annonce immédiatement saluée par le ministre des Sports saoudien, SAR le Prince Abdulaziz bin Turki Al Faisal, qui y voit la possibilité « d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire olympique ».

Symbolique, cette annonce est loin d’être anecdotique : elle traduit le haut niveau d’engagement de l’Arabie Saoudite dans la filière Sports mais aussi la vision résolument innovante des projets conduits sur place.

L’Arabie Saoudite au cœur de la planète sport

DES RECORDS DE PROJETS ET D’INVESTISSEMENTS

Car depuis le début des années 2020 et la structuration progressive du secteur par le fonds souverain saoudien (PIF) – lequel a notamment créé la société SRJ Sports Investments en 2023 pour superviser la tenue des grands événements sportifs et « accélérer la croissance du secteur en Arabie Saoudite et dans la région » – le Royaume concentre toutes les énergies de la planète Sport.

Organisation de Grands Prix de Formule 1 (Djeddah) et de Formule E (Dariya), de la Saudi Cup d’équitation (avec le prize money record de 37,5 millions de dollars !), du Dakar du Désert, de l’Al Ula Tour cycliste, de combats de boxe et de MMA internationaux (avec le champion Tyson Fury) et d’un nouveau circuit de golf en quatorze épreuves, le LIV Golf… sans compter le débauchage de stars internationales de football (Cristiano Ronaldo, Karim Benzema et même Laurent Blanc, nommé entraîneur du club Al-Ittihad) : « À ce rythme-là, Riyad sera capitale mondiale du sport dès 2030 », s’amuse Rachid Boulaouine, directeur du bureau Business France en Arabie Saoudite. « Non seulement les saoudiens ont réussi à concrétiser les projets annoncés mais ils en lancent encore de nouveaux chaque semaine ! », ajoute-t-il en référence à la prochaine Coupe du monde asiatique de Football (2027), aux Asian Winter Games de 2029 (prévus à Trojena, dans la cité futuriste NEOM) ou encore à la candidature 2034 pour l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA – le Royaume étant seul candidat déclaré.

Depuis son bureau à Riyad, Rachid Boulaouine observe en effet la très rapide transformation de la filière Sport et l’effet d’entraînement impressionnant sur l’ensemble de l’économie : « Il n’est pas seulement question de sport, mais aussi de construction et d’événements, de formation et d’éducation, de santé ou encore de loisirs : à travers ces projets sportifs, c’est toute une part de l’économie qui est mise en ordre de marche et les perspectives de développement sont massives ».

Les chiffres à eux seuls ne peuvent résumer l’impact : plus de dix milliards de dollars auraient déjà été investis sur les infrastructures sportives, en plus des 694 millions destinés aux fédérations locales, avec des gigaprojets emblématiques comme le Sports Boulevard à Riyadh (135 km d’équipements et aires sportives), Qiddiyah (immense parc d’attractions dans Riyadh) ou encore le complexe de divertissements Seven, à Yanbu sur la mer Rouge. « Mais il faut aussi ajouter tous les financements qui gravitent autour de la galaxie sportive : hôpitaux et transports, marketing autour des événements, investissements à l’étranger (dont les rachats de clubs comme celui du Newcastle United Football Club détenu à 100% par le PIF)… Au total, la contribution du sport au PIB national serait de 4% », précise Rachid Boulaouine qui cite également les 1,3 trillions de dollars investis, tous domaines confondus, dans le secteur de la construction depuis deux ans, faisant de l’Arabie Saoudite le plus grand chantier à ciel ouvert du monde.

 SANTÉ PUBLIQUE, DIVERSIFICATION ÉCONOMIQUE ET IMAGE INTERNATIONALE

Une perfusion d’argent public et privé qui trouve son origine dans la Vision 2030 du prince Mohammed Ben Salmane et dans la volonté de hisser l’Arabie Saoudite au rang des grandes nations sportives. « Il y a effectivement un enjeu d’image et de soft power, confie Rachid Boulaouine. Mais ce n’est pas la seule raison : les questions de santé publique et le moteur économique sont également très présents ».

Dans un pays où l’obésité et le diabète gagnent du terrain (59% des Saoudiens seraient en surpoids ou en situation d’obésité, l’un des taux les plus élevés au monde), le développement du sport pour tous est au cœur des préoccupations : le Royaume a ainsi généralisé l’enseignement du sport à l’école, à la fois pour les filles et les garçons, et les infrastructures de fitness, sports urbains et jeux de plein air se développent à grande vitesse. « L’objectif affiché par le gouvernement est d’atteindre le taux de 40% d’individus pratiquant une activité physique régulière d’ici 2030 », rappelle Rachid Boulaouine. Menée par la Saudi Sports for All Federations (SAF) qui communique régulièrement via des campagnes choc comme Move Your World, cette politique accélérée vise également à témoigner de l’inclusion croissante des femmes dans la société : depuis 2015, elles sont 59% de plus à participer à des compétitions locales, 166% de plus sur des compétitions internationales et 117% de plus à entraîner des équipes. La délégation olympique saoudienne pour Paris 2024 met d’ailleurs à l’honneur ses premières athlètes féminines qualifiées pour les Jeux, Dunya Abu Taleb (taekwondo) et Mashael Al Ayed (natation).

 « Au-delà de l’enjeu sanitaire et sociétal, il y a également la volonté du Prince de trouver de nouveaux relais de croissance en prévision de l’après-pétrole », confirme Rachid Boulaouine. En 2024, le taux de croissance de l’Arabie Saoudite est en effet prévu autour de 2,5%, principalement porté par les activités non pétrolières : en 2023, les recettes pétrolières auraient ainsi diminué de 12 % par rapport à 2022, tandis que les recettes non pétrolières auraient augmenté de 7,3 %.

« Le Royaume cherche à s’inscrire dans un développement vert, en compensant ses émissions pétrolières par des activités décarbonées : il favorise ainsi la mobilité électrique, les investissements dans l’hydrogène et la construction zéro carbone, ajoute-t-il. Dans le domaine du Sport, il y a donc une place à prendre sur le volet innovation verte, sachant que les Saoudiens sont très attentifs à la durabilité des offres ».

 « LES FRANÇAIS ONT COMPRIS L’INTÉRÊT DE SE POSITIONNER TÔT »

Car cette course à l’investissement appelle forcément une compétition internationale en matière d’offres de services et d’équipements. « Le monde entier vient courtiser l’Arabie Saoudite donc il faut pouvoir répondre aux besoins précis des donneurs d’ordre et apporter des garanties », signale Rachid Boulaouine.

Depuis 2020, les entreprises françaises se sont positionnées peu à peu, tirées par des locomotives emblématiques comme ASO (organisateur du Dakar du Désert et de l’Al Ula Tour), Gerflor ou GL Events – sans oublier la Fédération Française de Football (FFF) qui a signé en septembre 2023 un accord de coopération avec la fédération saoudienne pour former les entraîneurs locaux. « Les entreprises françaises ont compris la pertinence des projets saoudiens derrière l’emphase des chiffrages et l’intérêt qu’elles avaient à se positionner tôt ; maintenant, il leur reste à préparer cette prospection du marché pour rendre la démarche gagnante », analyse Rachid Boulaouine.

Car, dans le concert de concurrents européens, nord-américains ou asiatiques, la France a de belles références à faire valoir sur une grande diversité de disciplines (équitation, football, sports d’hiver, etc) et une capacité à adresser un large périmètre de besoins. « Les Saoudiens attendent des offres intégrées qui vont de l’ingénierie à la dynamique événementielle en passant par la construction et la formation des équipes, note Rachid Boulaouine. Ce qui est fondamental dans cette démarche, c’est de répondre à ce ‘clé en main’ et cette transversalité tout en l’adaptant à des besoins précis ».

Adaptation au changement climatique et aux températures élevées, intégration de l’innovation technologique et digitalisation des parcours, personnalisation des designs… les entreprises françaises doivent pouvoir présenter un front uni, souple et créatif à la fois. « La prospection se fait souvent en plusieurs étapes, il faut pouvoir mobiliser de la trésorerie et faire appel à des technologies de pointe ; mais il faut surtout investir dans une compréhension de l’environnement local des affaires ». Car, si la percée sur le marché ne passe pas forcément par un partenaire local, elle implique toutefois l’emploi de salariés du Royaume dans le cadre des politiques de saoudisation.

 LES FRENCH SPORTS DAYS : À LA RENCONTRE DES DÉCIDEURS PUBLICS ET PRIVÉS

« Pour les éclairer dans leurs premiers pas sur le marché, les exportateurs peuvent compter sur les acteurs de la représentation française dans le pays, à commencer par l’Ambassadeur de France, Son Excellence Ludovic Pouille, très actif sur le terrain de la transformation économique et de la coopération sportive et culturelle (plusieurs partenariats avec des fédérations sportives ont été noués sous son impulsion) ; sans oublier bien sûr Business France, Afalula et le Conseil d’Affaires Franco-Saoudien (CAFS), rappelle Rachid Boulaouine. Notre travail à tous est de créer le momentum qui propulsera l’offre française dans ce nouveau monde qu’est l’Arabie Saoudite de la Vision 2030 ».

Les 13 et 14 novembre prochains, le bureau de Business France organise justement les French Sports Days, en partenariat avec l’équipe France du Sport et sous le patronage de l’Ambassade de France, ainsi que le patronage de l’Ambassadeur pour le Sport, Samuel Ducroquet, qui avait réalisé un déplacement à Riyadh et Al Ula pour évaluer les opportunités d’affaires pour la filière France. Les entreprises hexagonales déjà présentes sur le territoire seront également de la partie pour livrer leur retour d’expérience. « Mais cet événement sera surtout l’occasion pour la trentaine d’exportateurs présents de rencontrer les donneurs d’ordre du secteur et de comprendre leurs besoins immédiats à travers des visites de sites et des rendez-vous B2B sectoriels », complète Rachid Boulaouine.

Car si les investissements et les projets sportifs ont été initiés par le PIF, le secteur privé saoudien s’est rapidement structuré pour prendre la relève et faire avancer chaque projet de façon opérationnelle. « Ce sont soit des entreprises créées de toutes pièces, soit des conglomérats qui lancent une division Sport », confirme Rachid Boulaouine. On retrouve notamment parmi elles Al Othaim, grande holding saoudienne qui investit massivement dans le secteur du sport, ou Al Hokair, acteur majeur de l’hôtellerie, ou encore le groupe Kingdom avec sa holding « Sport for all ». « Les dirigeants saoudiens sont assez convaincus de l’intérêt de l’offre française, insiste Rachid Boulaouine. C’est un avantage comparatif sérieux qu’il faut pouvoir exploiter en valorisant nos réussites et en travaillant de façon groupée ».

 Les French Sports Days devraient d’ailleurs débuter sur une présentation des enseignements tirés de l’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, tout juste clôturés. « L’occasion de rappeler la riche expérience des Français en matière de tenue d’événements d’ampleur internationale et de faire valoir les toutes dernières expérimentations du secteur », glisse Rachid Boulaouine. Avec les Jeux Olympiques de l’E-sport en ligne de mire, nul doute que les décideurs saoudiens prêteront une oreille attentive aux témoignages de la filière France.