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« Même si, vu de France, les seules images de l’Ukraine sont des images de guerre, sur place l’activité économique a repris. Quand nous avons débuté notre mission en Ukraine il y a déjà plus d’un an, les Allemands, les Américains, les Italiens étaient déjà présents ».
En 2022, quelques mois après le début de l’invasion russe en Ukraine, Neo-Eco, cabinet de conseil en économie circulaire, fait le choix audacieux d’intervenir sur le chantier de reconstruction de la ville d’Hostomel aux portes de Kyiv, théâtre de violents combats lors du débarquement des troupes russes. Un choix motivé par la solidarité envers le peuple ukrainien mais aussi en raison du défi économique de long terme que ce chantier représente : « Il y a urgence à reconstruire tout ce qui a été détruit dans une démarche vertueuse, pour construire un modèle économique plus durable pour l’avenir », déclare son président Christophe Deboffe.
Reconstruire à l'identique ?
Urgence et résilience. Depuis son bureau à l’Ambassade de France à Kyiv où il travaille activement avec ses trois collaboratrices et les équipes du Service économique, Romain Desthieux, directeur Ukraine pour Business France, voit de plus en plus d’entreprises françaises invoquer ce double prisme : « Il y a effectivement l’envie d’apporter des solutions à des besoins prioritaires et de remettre sur pied rapidement les infrastructures essentielles ; mais il y a également un enjeu de modernité qui incite à reconstruire différemment et à intégrer les nouveaux paradigmes économiques et environnementaux dans le projet ukrainien ».
Dans cette optique, l’enclenchement du processus de candidature à l’Union Européenne, officialisé le 14 décembre 2023, joue un rôle de catalyseur dans les relations économiques entre l’Ukraine et les entreprises européennes. « Le rapprochement économique avec l’Union européenne crée de nombreuses opportunités économiques qui sont autant de nouveaux liens à tisser entre nos deux pays » précise Gaël Veyssière, Ambassadeur de France en Ukraine, dans son éditorial du Livre Blanc « La Reconstruction de l’Ukraine » publié par Business France à destination des entreprises exportatrices.
Premier symbole de cet intérêt : le salon Rebuild Ukraine des 14 et 15 novembre derniers qui, à Varsovie, a rassemblé deux fois plus d’entreprises que sa précédente édition. « Côté français, on a même fait trois fois mieux avec une cinquantaine d’entreprises présentes », ajoute Romain Desthieux. Sur un pavillon France particulièrement fédéré¹, le ministre ukrainien de l’énergie, deux de ses vice-ministres et les représentants de collectivités ukrainiennes sont venus à la rencontre des exposants français pour échanger sur les besoins du pays. Parmi ces collectivités : Tchernihiv, Dnipro, Kherson, Lugansk et bien d’autres. « Un memorandum of understanding (MoU) a même été signé entre Business France (par la main de notre directeur général Laurent Saint-Martin présent à Varsovie pour l’occasion) et Ukraine Invest, notre homologue sur la partie attractivité », signale Romain Desthieux.
Les entreprises françaises, partenaires de premier plan
Une façon de témoigner de l’engagement important de la France sur ce chantier de la reconstruction : « La France est historiquement l’un des partenaires majeurs de l’Ukraine, poursuit Romain Desthieux. Elle est le premier employeur étranger du pays et, même après le début du conflit, la plupart des entreprises sont restées ». Parmi les secteurs-clés représentés : les activités financières (avec les filiales locales du Crédit Agricole et de BNP-Paribas), la distribution (avec les enseignes Auchan, Leroy Merlin ou Décathlon), l’agriculture (on peut citer les trois semenciers, MAS Seeds, Lidéa, Limagrain ou
Ellicit Plant, entreprise lauréate de France 2030) et l’agroalimentaire (Danone, Lactalis). « L’activité de Mazars Ukraine se maintient au même niveau d’avant-guerre. Tous nos clients qui opéraient en Ukraine sont restés, en s’adaptant et en intégrant les nouveaux aspects logistiques et humains imposés par le conflit », témoigne ainsi Grégoire Dattée, managing partner pour Mazars Ukraine, dans le Livre Blanc.
Un livre blanc pour informer et encourager l'audace à la française
« Ce Livre Blanc vise précisément à rendre compte de ce qui se passe en Ukraine du point de vue des entreprises : nous avons essayé de nous mettre à la place d’acteurs économiques qui ne connaîtraient pas le marché ukrainien », explique Romain Desthieux. L’enjeu est donc double : informer et encourager l’audace.
Informer car les besoins se chiffrent en milliards dans des secteurs très divers de l’économie ukrainienne. Ainsi, côté infrastructures, ce sont 51 200 kilomètres d’autoroutes et 1 400 ponts qui devraient être reconstruits dans les prochaines années et, dans le domaine énergétique, la production devrait atteindre 175 térawattheures d’ici 2033 (contre 109 en 2023), avec un objectif de triplement des énergies renouvelables dans la période. Au-delà, les attentes sont fortes dans le domaine de la santé où les besoins sont évalués à 15,1 milliards de dollars, et dans l’agriculture où 76,3 milliards de dollars sont envisagés au titre de la nouvelle politique agricole établie par les autorités locales dans le cadre du Plan de la reconstruction de l’Ukraine.
Encourager, ensuite, car le contexte de guerre et la situation sécuritaire véhiculent nombre d’incertitudes et d’inquiétudes, parfois erronées et susceptibles de dissuader toute prospection. « Nous avons voulu montrer que les outils d’accompagnement et de financement qui existent sont à la hauteur des enjeux », confirme Romain Desthieux.
En témoigne le long chapitre consacré aux aides mises en place par les bailleurs de fonds, « sous forme de don, de prêts, en multilatéral ou en bilatéral, dans le public ou dans le privé » pour couvrir en partie les besoins en matière de reconstruction et de redressement de l’Ukraine, estimés eux à 400 milliards de dollars². « La facilité européenne de 50 milliards d’euros actuellement en discussion au sein de l’Union européenne est l’un des mécanismes décrits dans le Livre Blanc, tout comme ceux de la Banque mondiale, de la BERD ou encore de la DGT qui a déjà financé plusieurs FASEP », précise Romain Desthieux. Afin de donner une vision transversale, la grande majorité des achats liés aux besoins de reconstruction sont rassemblés sur la plateforme de marché public ukrainien Prozorro, adaptée aux règles des bailleurs de fonds internationaux.
Des dispositifs qui ont le pouvoir d’accélérer la commande ukrainienne : « Le fait d’avoir obtenu un FASEP nous a donné une certaine crédibilité face aux autorités locales et a facilité nos démarches », confirme ainsi Christophe Deboffe de Neo-Eco dans son témoignage.
La reconstruction a commencé
Le message véhiculé par Business France et ses partenaires via ce Livre Blanc est donc clair : la reconstruction a déjà commencé et, si les difficultés persistent, l’activité se maintient et s’accélère. « L’Ukraine est un vaste marché de consommateurs. Bien que le marché ait subi une récession au début de la guerre, il montre aujourd’hui des signes de reprise », témoigne ainsi Alexandre Tchesnakoff, board member au sein de Crédit Agricole Ukraine. Après une chute importante en 2022, la croissance estimée du PIB entre 2022 et 2023 atteint ainsi 8,5% et l’inflation qui avait grimpé à 20% en 2022 est redescendue à 8,6%. Dans certains secteurs comme l’agriculture, l’Ukraine a également pu assurer un certain niveau d’exportations (20 milliards de dollars en 2022). « Par-dessus tout, il y a des symboles comme la reconstruction du pont d’Irpin qui marquent la résilience de la population ukrainienne et cet esprit de relèvement, note Romain Desthieux. Ce pont témoigne aujourd’hui de l’activité revenue à Kyiv et de la mobilisation efficace des acteurs économiques pour redresser le pays ».
L’équipe France mobilisée pour relever le défi Ukrainien de la reconstruction
Cette ferveur ne doit cependant pas masquer les difficultés auxquelles font face les entreprises venues travailler sur le chantier de la reconstruction ukrainienne. Défis logistiques, assurantiels et bien sûr sécuritaires font partie du quotidien des entreprises installées dans la zone – « c’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes présents : pour informer et accompagner afin de préparer au mieux la décision de développement. Nous donnons le maximum d’informations pour que ceux qui prospectent soient le mieux préparés possible pour surmonter ces difficultés », confie Romain Desthieux. Présentes sur le terrain, les équipes de Business France forment un relais précieux pour accompagner les entreprises et les mettre en relation avec les interlocuteurs institutionnels et économiques pertinents, des porteurs de projets et des financeurs. « Le lien relationnel est très important en Ukraine : le succès d’une offre repose grandement sur la qualité de la relation établie avec le partenaire local. Cette situation s’est renforcée dans le contexte de la guerre à grande échelle où la confiance revêt un caractère d’autant plus fondamental », assure Romain Desthieux.
La présence française joue en tous cas à plein le rôle de guide dans ces défis hors du commun : « Notre rôle de coordinateur et de fournisseur de soutien moral a été essentiel, témoigne ainsi le président de la chambre de Commerce et d’Industrie France Ukraine, Bertrand Barrier. Le simple fait d’être présent et de maintenir une communication avec les membres a permis de renforcer la cohésion au sein de la communauté des entreprises françaises en Ukraine ».
Une volonté de serrer les rangs qui témoigne aussi de l’esprit qui anime les entreprises venues relever le défi ukrainien : « Ce qui motive ces acteurs c’est, d’une part, la perception d’opportunités économiques dues à la reconstruction et, d’autre part, la volonté de participer à quelque chose de plus fort, d’ordre collectif », analyse Romain Desthieux.
Selon les mots de Pierre Heilbronn, envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine, cette reconstruction serait « le plus grand chantier économique et social de l’Europe », en faisant appel à « un niveau de financement sans précédent ». Un superlatif qui devrait capter l’intérêt des entrepreneurs les plus audacieux et les inviter à s’informer au plus vite. « Plus on fera preuve d’audace tôt et plus on commencera à travailler tôt auprès des Ukrainiens sur ces chantiers, mieux nous serons positionnés pour accompagner le pays dans son triple défi de reconstruction, de modernisation économique et de transition écologique », conclut Romain Desthieux. ¹ Outre Business France, étaient présentes les équipes de l’envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine, la Bpifrance, la Direction Générale du Trésor, l’AFD, la Région Hauts-de-France et l’ADEME. ² Selon un rapport conjoint du gouvernement ukrainien, de la Banque mondiale, de l’ONU et de l’Union Européenne publié en mars 2023. Notre Livre Blanc : La Reconstruction de l'Ukraine disponible en téléchargement ici.