Date de publication :

Secteur Transition écologique
Pays concerné
Pologne
Thématique Actualités du secteur

Le défi auquel l’industrie polonaise fait face est de taille. Elle a pour ambition de contribuer, à hauteur de 20% à 30%, à la construction des premiers parcs éoliens de sa zone économique exclusive en mer Baltique. En effet, l'accord sectoriel pour le développement de l'énergie éolienne en mer en Pologne, signé en septembre dernier, fixe des objectifs précis pour la participation des entreprises polonaises aux investissements dans la première phase d’attribution des parcs éoliens en mer Baltique. Autrement dit, il s’agit du local content cher aux autorités. Cette part a été fixée à 20-30 % de la valeur totale dans les phases de préfaisabilité, d'installation et d'exploitation pour les projets éoliens en cours. La capacité totale des projets est estimée à 5,9 GW. D'autres projets, déjà engagés dans le cadre du système d'enchères, pourraient voir le seuil d’une participation locale porté à 45-50%.

Les principaux contractants ont des exigences très élevées en ce qui concerne l'expérience des fournisseurs. Pour les entreprises polonaises, la tâche parait compliquée mais pas impossible à réaliser, loin de là. Tandis que certaines d’entre-elles sont à un stade de maturité encore précoce sur ce marché, d'autres exécutent déjà des contrats pour l'industrie offshore à l'étranger. L'Association polonaise de l'énergie éolienne en mer (PTMEW, avec laquelle le bureau Business France de Varsovie a organisé les Polish-French Offshore Industry Days fin novembre 2023, ndlr) recense au total plus de 300 entreprises en Pologne qui peuvent participer à la chaîne d'approvisionnement des parcs éoliens de la mer Baltique.

Comment bien définir le local content ?

« Les dispositions polonaises sur la participation nationale (local content) ayant été rédigées "en douceur" et sans engagements fermes, la participation des entreprises polonaises aux projets d'éoliennes en mer pourrait être moindre. En outre, il est probable que nous n'apprendrons pas grand-chose des rapports que les promoteurs de parcs éoliens offshore sont tenus de soumettre à l'Office de régulation de l'énergie, car certaines des données contenues dans ces rapports ne seront pas divulguées en leur qualité de secrets d'entreprise » souligne Władysław Pomierny, responsable du projet d'énergie éolienne offshore à l'Agence de développement industriel.

Il ajoute que le processus de développement des projets de parcs éoliens en mer est lui-même « paramétré », ce qui signifie qu'un changement dans un domaine pourrait perturber l'ensemble du processus. Il sera donc difficile de modifier les règles relatives au local content, d'autant plus qu'elles doivent être conformes à la réglementation européenne.

« Il n'est pas exclu qu'au lieu des entreprises européennes, ce soient des entreprises chinoises qui remportent les appels d'offres avec des offres moins chères. La question se pose également de savoir quelle est la définition du local content et comment les entreprises opérant à l'étranger, mais enregistrées en Pologne, seront traitées » a déclaré M. Pomierny dans une interview accordée à WysokieNapiecie.pl, magazine spécialisé dans les questions énergétiques.

Des travaux sont en cours pour développer la méthode la plus efficace pour mesurer et vérifier les déclarations des investisseurs concernant la chaîne d'approvisionnement locale. « Nous avons préparé une recommandation pour la première phase et les projets futurs. La définition du local content nécessite un travail supplémentaire. Dans le courant de l'année, nous prévoyons de proposer, par l'intermédiaire du Conseil de coordination, une méthodologie pour mesurer ce contenu local. Ce sujet laisse place à l'interprétation, chose que nous voudrions éviter » déclare Robert Grzegorowski, Directeur général chez RWE Offshore Wind Poland et coordinateur du groupe pour le développement de l'industrie polonaise et la participation des entreprises polonaises qui rassemble plus de 200 entrepreneurs.

Une véritable opportunité pour les flottes et ports polonais…

Selon Władysław Pomierny, les flottes d'installation et de service ainsi que les ports de service qui leur serviraient de base arrière pourraient donner, ensemble, une part relativement importante du local content. La disponibilité d'une flotte capable d'effectuer les travaux d'installation est citée comme l'un des principaux obstacles au développement de l'éolien en mer. Selon les données du cabinet d'analystes Rystad Energy, la demande de navires d'installation d'éoliennes passera de 11 navires en 2021 à près de 79 navires en 2030.

« Entre-temps, la plupart des navires d'installation utilisés jusqu'à présent n'ont pas les bons paramètres en termes de puissance de levage (environ 1 500 tonnes) ou de hauteur de levage (au moins 150 m) » indique un rapport de la société de conseil Multikonsult sur la transition énergétique de la Pologne.

Ce sont les turbines les plus modernes et les plus grandes, d'une capacité de plusieurs mégawatts, qui seront installées dans la zone économique exclusive polonaise. Baltic Power opte pour le savoir-faire danois en choisissant le modèle V-236 15 de Vestas et en concluant un contrat pour le transport et l'installation de 76 turbines avec la société Cadeler. Les parcs éoliens offshore d'Equinor, de Polenergia et de RWE, eux, seront équipés de turbines SG-14-236 du fabricant germano-espagnol Siemens Gamesa.

… qui peut être saisie à condition de collaborer avec les entreprises étrangères et les pouvoirs publics

Jakub Budzyński, vice-président de l'Association polonaise de l'énergie éolienne offshore, a estimé le coût d'un navire pour construire les plus grandes turbines offshore au minimum à 1,5 milliards de PLN (soit un peu plus de 325 millions d’EUR), sans compter le coût de l'équipement, tandis que le temps pour construire un tel navire est estimé à 3 ou 4 ans. « Ce n'est pas une dépense pour une seule entreprise, il s'agit généralement d'un montage financier » a-t-il tout de même souligné lors de la conférence sur les accords sectoriels.

Selon Budzyński, les entreprises polonaises ont les compétences nécessaires pour construire des unités de service et des navires d'installation plus avancés sur le plan technologique, mais l'économie de la production navale en Pologne, ainsi que dans l'ensemble de l'Europe, constitue un obstacle important. « En ce qui concerne la construction navale chinoise, l'industrie européenne ne pourra pas faire face sans aides d'État, ce qui est une pratique courante dans le secteur de la construction navale en dehors de l'Union européenne. C'est aussi là que le gouvernement polonais doit être plus décisif en matière de soutien public » souligne-t-il.

Le chantier naval CRIST construit régulièrement des navires pour le secteur offshore, en tant que sous-traitant de chantiers navals d'autres pays, comme le groupe norvégien Ulstein, mais il a surtout équipé entièrement des navires utilisés pour des installations éoliennes offshore. Certains ont même été conçus par des bureaux d'études polonais.

L'Agence de développement industriel s'est également engagée à financer l'industrie polonaise pour le développement de l'énergie éolienne en mer. Comme l'a souligné son président Cezariusz Lesisz lors de la conférence sur les accords sectoriels, si une entité ne dispose pas de garanties, elle doit avoir des contrats pluriannuels. Aucune banque ne veut financer la construction d'une flotte alors que le chantier naval n'a pas encore de commandes.

L'Agence a créé le groupe Grupa Przemysłowa Baltic (groupe industriel Batlic, ndlr) qui réunit trois entités - Energomontaż-Północ Gdynia, Baltic Operator et le chantier naval de Gdańsk. GP Baltic pourrait jouer un rôle dans la construction de sous-stations ou dans la constitution d'une flotte pour l'entretien des parcs éoliens offshore. Selon WysokieNapiecie.pl, Lotos Petrobaltic aurait acquis un partenaire industriel provenant du Benelux et aurait l'intention de développer une flotte de navires pour l'entretien des éoliennes offshore.

Des postes transformateurs offshore made in Poland ?

Jakub Budzyński considère que le marché polonais aura besoin d'au moins une douzaine de postes transformateurs en mer. Il a estimé le coût de la construction et d’érection d’un tel poste à plus de 500 millions de PLN (soit plus de 108 millions d’EUR).

Il souligne qu’Energomontaż Północ Gdynia possède une vaste expérience dans la construction et l'équipement partiel de postes transformateurs offshore. Mostostal Pomorze, une autre entreprise de la côte réalisant des projets avancés et spécialisés pour l'industrie offshore, possède également des compétences similaires, tandis que Crist Offshore, une filiale du chantier naval CRIST, a récemment réintégré le groupe d'entités prêtes à agir en tant que fournisseur de structures en acier pour les postes offshore.

Et cette (courte) liste est tout sauf complète. « Les entreprises polonaises pourraient donc finir par fournir des sous-stations déjà entièrement équipées à l'avenir » estime Jakub Budzyński. Il ajoute que la Pologne n'a pour l'instant qu'un seul producteur classé TIER 1 dans le secteur du câble, TeleFonika Kable, qui peut fournir les câbles du réseau inter-éolien. Les Polonais espèrent que ce groupe s'élargira bientôt pour inclure des fournisseurs de grandes structures en acier. D’ici là, il y a déjà de nombreux sous-traitants polonais dans les niveaux TIER 2, 3 et 4.

« Nous avons préparé une proposition de stratégie multi-facettes pour soutenir les entrepreneurs polonais, ce qui permettra de changer d'échelle et de redéfinir les capacités des entreprises disponibles sur le marché polonais » a déclaré Robert Grzegorowski de RWE lors de la conférence sur les accords sectoriels.

Les ports polonais attireront les investissements

Les investisseurs et les fournisseurs indiquent que pour eux, il est crucial d'avoir un accès à un port offrant des possibilités d'importation et exportation. L'Europe, mais aussi l'Amérique du Nord et l'Asie, investissent dans les parcs éoliens offshore. La localisation de la production de composants de parcs éoliens en Pologne doit également garantir leur transport vers d'autres marchés. Cependant, il n'est pas facile d'obtenir (en louant ou en achetant) un terrain approprié pour de telles activités.

Le groupe Orlen a loué un terrain dans le port de Świnoujście qui accueillait auparavant un chantier de réparation navale désormais fermé. Il souhaite y construire un port d'installation d'ici 2025. Dans le même temps, le danois Vestas a annoncé qu'il allait implanter une nouvelle usine à Szczecin, où seront assemblés les nacelles et les moyeux de turbine. L'usine, située donc dans la région de Poméranie occidentale frontalière à l’Allemagne et proche du Danemark, fournira des composants manufacturés aux marché polonais comme mondial. Il s'agira de la plus grande installation de production directement liée au secteur de l'offshore en Pologne. Les experts sont d'avis qu'il y aura de nombreux autres investissements autour de la zone de Szczecin-Świnoujście qui a tout pour devenir un véritable hub pour l’industrie.

L'autorisation de louer des terrains pour plus de 10 ans dans les limites administratives des ports doit être accordée par le ministère polonais de l'Économie maritime. Une telle approbation est attendue par RWE par exemple. Le conglommérat allemand prévoit un centre de services à Ustka et souhaite louer le terrain pour une période de 30 ans. PGE Baltica, elle, a réussi à acheter le droit d'usufruit perpétuel d'une parcelle de 3 hectares dans le port d’Ustka, où elle construit d’ores et déjà une base arrière d'opérations et de services.

Une bonne coopération porte toujours ses fruits

Baltic Power a déjà conclu des accords de réservation pour tous les principaux composants de son parc éolien d'une capacité maximale de 1,2 GW. Le groupe de fournisseurs et de sous-fournisseurs comprend également des entreprises polonaises. Tele-Fonika Kable, avec sa filiale JDR Cable Systems, fournira les câbles inter-éoliens, de liaison sous-marine et sera également responsable du transport et de l'installation des câbles sur la section terrestre. Enprom, l'une des plus grandes entreprises de construction électrique de Pologne, sera responsable de la conception et de la construction des postes de réception.

Comme l'a souligné Jolanta Szymańska-Jaruga de Baltic Power, l'entreprise a organisé trois grandes réunions avec les fournisseurs, dont la dernière a rassemblé près de 400 entités le mois dernier. « C'est un secteur qui vient de naître en Pologne. Tout comme nous voyons les aspects très positifs de la collaboration avec un partenaire industriel expérimenté, nous encourageons les entreprises polonaises et étrangères à établir des partenariats. Il nous semble que c'est le moyen le plus facile et le moins douloureux d'entrer dans un nouveau secteur de l'économie » a-t-elle indiqué.

Un exemple récent de coopération est le projet de construction des parcs Baltica 2 et Baltica 3, qui sont réalisées par PGE Balitca, soit Ørsted et le groupe PGE. La société danoise Ramboll développera le projet en collaboration avec le bureau d'études polonais Projmors.

Lors d'une conférence sur les accords sectoriel, Joanna Smolik de la BGK, la Banque nationale de développement, a estimé que « c'est un moment unique où le secteur peut subir une révolution et passer à une dimension complètement différente ». La BGK s'engage à financer des entreprises dans les secteurs liés à l'énergie offshore. Elle a également insisté sur le fait que les entreprises ont besoin de plus que de simples prêts d'investissement ou de fonds de roulement. Pour la BGK, les stratégies de développement à long terme des entreprises sont importantes. Elles constatent souvent qu'elles ont besoin non seulement d'un prêt, mais aussi d'un investisseur à long terme qui perçoit le potentiel de croissance du marché.

ST3 Offshore ou l’exemple d’un potentiel engourdi

En ce qui concerne le local content polonais, il est difficile de passer à côté de la société ST3 Offshore qui était censée briller dans ce secteur, mais qui n’en aura peut-être jamais l’occasion. Les difficultés de cette entreprise originaire de Szczecin, qui avait le potentiel pour devenir un important producteur de fondations pour éoliennes offshore, remontent à plus de dix ans. Depuis l'année dernière, un nouveau propriétaire pour ST3 Offshore est activement recherché par l'administratrice judiciaire, Natalia Leszczyńska, qui a déjà organisé pas moins de cinq appels d'offres pour la vente de l'entreprise.

Le bruit courrait qu'au moins plusieurs entités étaient intéressées par l'usine, y compris le groupe appartenant majoritairement au Trésor public Tauron (spécialisé dans la production et la distribution d’électricité, ndlr). Malheureusement pour ST3 Offshore, toutes les procédures se sont terminées de la même manière, c'est-à-dire sans offres. La dernière tentative a eu lieu en juillet dernier. Malgré ces revers, la conciliatrice n'a pas l'intention d'abandonner la stratégie qu'elle a adoptée, à savoir vendre la société dans son intégralité et ce pour le même prix que lors des deux tentatives précédentes (164 millions de PLN, soit environ 35,6 millions d’EUR). Comme l'a indiqué Natalia Leszczyńska à WysokieNapiecie.pl, un sixième appel d'offres sera probablement annoncé au début de 2023. Une fois de plus, plusieurs entités devraient manifester leur intérêt pour l'usine, mais il semblerait que le groupe Tauron a définitivement renoncé à reprendre ST3 Offshore malgré ses nombreuses tentatives par le passé.

L’usine de Vestas, elle, agira comme un aimant

Jusqu'à présent, de plus petites entreprises ont opéré sur le site de Szczecin, en louant des espaces auprès du fiduciaire. Cependant, tout le monde attend qu'un grand investisseur vienne exploiter pleinement le potentiel de ST3 Offshore. Patryk Zbroja, un avocat basé à Szczecin, dont le cabinet représente certains créanciers et anciens employés de la société, a estimé dans une interview accordée à WysokieNapiecie.pl qu'un tel scénario est toujours possible.

« Après les récents événements, la Poméranie occidentale a définitivement gagné en attractivité en tant que site potentiel pour les investissements offshore » a déclaré Me Zbroja. Il s'agit notamment, comme mentionné plus haut, de la décision d'Orlen d'implanter un terminal d'installation à Świnoujście et de celle de Vestas de construire une usine à Szczecin. « Cela a naturellement aussi un impact sur l'amélioration des perspectives de ST3 Offshore, d'où l'intérêt accru pour le rachat de la société. En particulier, la décision d'une entreprise comme Vestas, qui est le plus grand acteur du secteur, signifie que Szczecin n'est plus un lieu anonyme sur la carte mondiale du marché offshore » a souligné l’avocat.

« Cela a créé un noyau solide pour le développement de l'industrie éolienne en mer. On peut même avoir l'impression que les derniers mois ont permis à Szczecin et Świnoujście, et non à la Tricité (de Gdańsk, Gdynia et Sopot, ndlr) comme tout le monde le pensait précédemment, d'être la principale base du secteur offshore polonais » a-t-il constaté.

Les fondations seront-elles locales ?

Par le passé, l'Association polonaise de l'énergie éolienne en mer a présenté des estimations selon lesquelles la part des monopiles dans les projets réalisés dans les eaux polonaises de la mer Baltique se situera entre 80 et 90 %, les 10 à 20 % restants étant constitués de fondations dites « jacket », également produites par ST3.

Malheureusement, selon Me Zbroja, même dans l'hypothèse positive d'un repreneur pour ST3, il ne semble pas que cette usine ait une chance d'être sollicitée à l'avenir pour la production de fondations d'éoliennes offshore. Les turbines d'aujourd'hui, y compris celles qui seront installées dans la mer Baltique, sont beaucoup plus puissantes qu'à l'époque de la création de l'usine de Szczecin. Adapter l'infrastructure de l'usine pour produire des fondations de dimensions beaucoup plus grandes serait très coûteux et prendrait beaucoup de temps. Ces contraintes semblent exclure un tel scénario.

« Il est plus faisable de localiser sur le site de ST3 la production des pièces de transition, c'est-à-dire les éléments intermédiaires reliant la fondation à la tour de l'éolienne. En même temps, cette usine dispose encore d'installations relativement intéressantes et est située dans un très bon emplacement, ce qui en fait un site attrayant pour l'industrie offshore au sens large » espère Me Zbroja.

Sources :

Magdalena SKLODOWKSA et Tomasz ELZBIECIAK, 5/12/22, WysokieNapiecie.pl

Tomasz ELZBIECIAK, 8/11/22, WysokieNapiecie.pl

Patryk ZBROJA,11/09/21, WysokieNapiecie.pl