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L’Allemagne perd ses correspondances vers des destinations importantes en Europe et dans le monde. Bien que le nombre de passagers dans les aéroports allemands ait augmenté de 10 % au premier semestre 2024 par rapport à l’année précédente, atteignant 97 millions, il ne représente que 82 % du niveau de 2019, avant la pandémie. En revanche, d’autres pays ont déjà rattrapé leur retard. En Europe, le nombre de sièges offerts est revenu à 99 % par rapport au niveau de 2019. L’Italie et l’Espagne ont même dépassé ce niveau de 10 %, tandis que la Grèce atteint 123 %.
Le Bundesverband der Deutschen Luftverkehrswirtschaft (Fédération allemande du transport aérien, BDL) est préoccupé par la situation actuelle. Son PDG, Joachim Lang, explique que les liaisons point to point depuis l’Allemagne deviennent de moins en moins attractives. Contrairement aux hubs comme Francfort et Munich, continuellement approvisionnés de vols de correspondance, les liaisons point to point ne peuvent attirer que la demande régionale. Actuellement, ces liaisons en Allemagne n’ont atteint que 71 % des niveaux d’avant-pandémie.
Lang souligne que des pays comme l’Italie, la France ou le Royaume-Uni bénéficient de taxes aéroportuaires nettement plus basses. En Allemagne, les taxes sur le transport aérien, les frais de sécurité et de navigation aérienne augmentent les prix des billets. Par exemple, un vol moyen-courrier avec un Airbus A320 coûte en moyenne 4 410 EUR au départ de Francfort, soit une augmentation du prix de 53 % par rapport à 2019. À Stuttgart et Düsseldorf, les prix ont presque doublé depuis 2019 (respectivement 4 404 EUR et 4 390 EUR). En revanche, à Rome (2 208 EUR), Oslo (2 081 EUR) ou Madrid (660 EUR), les prix des billets sont environ la moitié de ceux en Allemagne et sont restés relativement stables par rapport à avant la pandémie. En conséquence, les compagnies aériennes réduisent considérablement leurs vols en Allemagne. Néanmoins, en France, le projet de loi visant à augmenter la Taxe de Solidarité sur les Billets d’Avion (TSBA) pourrait nuire à la compétitivité des compagnies aériennes françaises à l'avenir. C'est ce que critiquent les présidents de l'UAF (Union des Aéroports Français) et de la FNAM (Fédération Nationale de l'Aviation et de ses Métiers), car les coûts s'élèveraient à 850 M EUR supplémentaires pour les compagnies aériennes et 150 M EUR pour l'aviation d'affaires d'ici 2025. Bertrand Godinot, directeur général d’easyJet France, s’inquiète de l’augmentation des taxes sur le transport aérien, qui représentent déjà 20% du prix des billets long-courriers et 40% des vols domestiques, et avertit que cela pourrait rendre la France moins attractive par rapport à des destinations moins chères comme l’Espagne et l’Italie. Il souligne que la TSBA, multipliée par 6 en 10 ans, n’est pas une taxe environnementale et n’aide pas à la décarbonation du secteur. Le directeur général d’Air France-KLM, Benjamin Smith, a lui aussi exprimé son inquiétude. Selon lui, cette taxation affecterait gravement la compétitivité d’Air France, KLM et Transavia, en exacerbant les distorsions de concurrence déjà présentes en France. Smith a notamment averti que la France pourrait devenir le pays de l’Union européenne avec la fiscalité la plus lourde sur le transport aérien, ce qui désavantagerait les compagnies françaises par rapport à leurs concurrents bénéficiant de conditions fiscales plus favorables.
Le réseau de connexions aériennes allemandes a également été réduit. Selon une analyse du BDL, rien qu’à Düsseldorf, 24 destinations de moins ont été proposées à l’été 2024 par rapport à la période d'avant la pandémie. Sur des liaisons importantes, l’offre a fortement diminué : de 29 % vers Londres, de 37 % vers Vienne, de 43 % vers Paris et de 44 % vers Zurich.
Une situation similaire est observée à Stuttgart, un des principaux aéroports de taille moyenne en Allemagne. Six destinations nationales ont été supprimées, dont Brême, Hanovre et Nuremberg, ainsi que onze villes européennes comme Londres, Copenhague, Édimbourg et Bruxelles.
Toutes ces difficultés impactent particulièrement trois secteurs économiques allemands importants : le secteur de la construction de machines autour de Stuttgart, la région économique de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et la région de la capitale Berlin-Brandebourg.
Le coût élevé des billets d’avion est principalement dû à la taxe sur le transport aérien en Allemagne, qui est plus élevée que dans d’autres pays de l’UE. Depuis le 1er mai 2024, les taux varient entre 15,53 et 70,83 euros par billet, contre 12,48 à 56,91 euros auparavant. En comparaison, le Portugal impose une taxe CO₂ de seulement 2 euros par billet. Selon Lufthansa, cette taxe affecterait surtout les vols régionaux. Par exemple, à Brême, la taxe ajoute 20 euros au prix du billet, dissuadant ainsi le consommateur. Ainsi, les passagers transatlantiques sont captés par d’autres hubs comme Helsinki, au détriment des aéroports régionaux allemands. Introduite en 2011 dans le cadre du plan de protection climatique 2050, cette taxe vise à financer des mesures écologiques, bien que les recettes aillent dans le budget général.
Les frais aéroportuaires sont également une des raisons de l'augmentation des billets. Ces frais incluent les coûts de décollage, d’atterrissage et de stationnement des avions, ainsi que l’utilisation des terminaux et les charges liées au bruit et aux émissions. Ces frais sont généralement répercutés sur les passagers et doivent être approuvés par l’État. À partir de 2025, les frais de sécurité aéroportuaire augmenteront de 10 à 15 euros, soit une hausse de 50 %. Cette augmentation aggrave la situation économique des aéroports allemands, en partie à cause de leur inefficacité. Par exemple, les lois allemandes exigent sept agents aux contrôles de sécurité des bagages, contre quatre dans d’autres pays. Ces agents sont relativement bien payés, avec un salaire d’environ 22 euros par heure.
A cela s'ajoutent de nouvelles charges en lien avec la politique de protection de l'environnement. Dès janvier 2025, le kérosène utilisé dans les aéroports de l’UE devra contenir 2 % de carburants d’aviation durables (SAF), ce qui coûtera environ 300 M EUR supplémentaires à une entreprise comme Lufthansa. La proportion de SAF doit progressivement atteindre 70 % d’ici 2050. Cependant, le SAF biologique est rare et coûte trois à cinq fois plus cher que le kérosène fossile. En 2023, seulement 600 millions de litres de SAF ont été produits, soit 0,2 % de la consommation mondiale de kérosène. À partir de 2030, les compagnies aériennes devront utiliser des carburants synthétiques (PtL), avec une part de 1,2 % de PtL par plein. Actuellement, il n’existe aucune usine de carburants synthétiques en Europe. Le ministre des Transports français, François Durovray, a affirmé de son côté que l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion en France est un projet équilibré et nécessaire pour répondre aux enjeux industriels, commerciaux et environnementaux, tout en visant la décarbonation totale du secteur aéronautique d’ici 2025. L’Allemagne prévoit d’imposer 0,5 % de PtL dans le mix de carburants dès 2026, ce qui est jugé irréalisable en raison de sa disponibilité très limitée. Ces nouvelles exigences pourraient rendre les vols via les hubs européens jusqu’à 200 euros plus chers que via des hubs comme Dubaï ou Istanbul, ce qui pose un problème de compétitivité. En effet, une compagnie aérienne turque ou arabe ne devrait faire le plein de SAF ou de PtL que jusqu'à sa plaque tournante, par exemple à Istanbul ou Dubaï. Ensuite, l'avion se passe complètement de PtL. Le BDL propose notamment une taxe climatique par passager pour tous les vols en Europe, remplaçant les quotas de SAF, afin d’assurer une répartition équitable des coûts entre les pays.
Les compagnies aériennes européennes, dont Lufthansa, sont désavantagées par rapport à leurs concurrentes asiatiques, arabes et turques, car la Russie interdit à presque toutes les compagnies européennes de survoler son territoire en réponse aux sanctions de l’UE. Cela permet aux compagnies non européennes de proposer des vols moins chers et plus rapides. Par exemple, Lufthansa met environ 11h45 pour un vol Pékin-Francfort avec un Airbus A340-300, tandis qu’Air China met moins de 9h30 avec son Boeing 777. Lufthansa envisage de suspendre sa liaison quotidienne Francfort-Pékin car elle n’est plus rentable. La compagnie appelle à la réouverture de l’espace aérien russe ou à l’imposition des mêmes routes aux compagnies non européennes souhaitant atterrir en Europe. La situation actuelle complique les opérations des compagnies aériennes européennes et menace leur compétitivité.
Lufthansa, qui fêtera ses 100 ans en 2026, réalise désormais seulement 25 % de son chiffre d’affaires en Allemagne, explorant la croissance à l’étranger, notamment en Italie après l’achat de ITA Airways. L’Italie est devenue le deuxième marché le plus important pour Lufthansa après les États-Unis. Carsten Spohr se félicite d’avoir commandé 250 nouveaux avions, faisant de Lufthansa le plus grand client d’Airbus au monde avec 380 avions dans sa propre flotte et 730 dans l’ensemble du groupe. Cependant, les livraisons de Boeing et Airbus sont retardées, avec plus de 41 nouveaux avions de Boeing attendus. Le Boeing 777X ne sera probablement livré qu’en 2026, obligeant Lufthansa à maintenir en service 21 avions devant être retirés. En bourse, l’action de Lufthansa stagne à un peu plus de six euros, comme après sa chute lors de la pandémie en avril 2020, avec une valorisation de seulement 7,4 Mds EUR. Le 1er janvier 2024, l'action de Lufthansa était à 7 783 EUR et a baissé de 20,7% au cours de l'année, pour se retrouver à 6 168 EUR le 4 octobre.
Ryanair, avec une capitalisation boursière de 17,3 Mds EUR, semble être un poids lourd, en partie parce que l'entreprise évite les coûts élevés des aéroports allemands. En été, Ryanair a annoncé qu’elle cesserait de desservir six destinations depuis Berlin-Brandenburg, soit une réduction de 20 %. Le nombre d’avions basés à Schönefeld passera également de neuf à sept. EasyJet avait aussi réduit sa flotte en Allemagne de 18 à 11 avions en été 2022, entraînant le licenciement de 200 employés. Ryanair menace de réduire son programme de vols en Allemagne de 10 % (1,5 million de sièges) à l’été 2025 si la taxe sur le transport aérien n’est pas baissée. La Suède, qui supprimera cette taxe en 2025, verra une augmentation des vols de Ryanair, avec deux avions supplémentaires dans la flotte suédoise.
Sources :
- The Pioneer, 06.10.2024
- aero.de, 13.10.2024
- Air Journal et Le Journal de l'Aviation du 15.10.2024
- Sud-Ouest du 21.10.2024
- Ouest-France du 11.10.2024
- Sud-Ouest du 25.10.2024